Dans la maison (François Ozon)

Publié le 6 Novembre 2012

François Ozon, peu enclin au réalisme, a depuis longtemps choisi son camp : celui d’un cinéma stylisé teinté d’ironie. Dans la maison, dernier opus du prolifique cinéaste, nous conte les mésaventures de Monsieur Germain (Fabrice Luchini), professeur de lettres au lycée Gustave Flaubert, dans une ville indéterminée. Ce professeur admire bien sûr l’ascète normand qui a fait son trou dans la littérature, mais La Fontaine satisfait davantage son goût pour la fabulation.

Monsieur Germain ayant lu Schopenhauer tout l’été se trouve fort déprimé quand vient la rentrée. La bise de la secrétaire ne lui est ni aquilon ni zéphyr. Le ramage du proviseur n’appelle que croassement des professeurs. Ni corbeau ni renard, Monsieur Germain mange tranquillement son pain au chocolat que nulle racaille ne songe pour l’heure à lui soustraire. Sa raison est pour l’instant la meilleure.

En présence de son épouse (Kristin Scott Thomas), élégante galeriste adepte de la vacuité artistique, il corrige des copies indigentes dont il lui communique le contenu (ou plutôt l’absence de contenu). Un élève cependant sort du lot, et même de la place qui lui est assignée dans le système éducatif. En effet, il apparaît vite que Claude (Ernst Umhauer) propose à son professeur un défi, celui de lui remettre quotidiennement de la copie. Jeu pervers, ainsi que monsieur Germain l’apprendra à ses dépens. Le jeune feuilletoniste séduit sans peine le professeur, ainsi que sa galeriste d’épouse. Claude, plume caustique et fort en maths, a cyniquement jeté son dévolu sur Rapha, un élève qui a un ballon de basket à la place de la tête. Il tient, grâce à ce camarade de classe chez lequel il s’incruste, la matière de ses menées narratives. Il a toute latitude pour observer le comportement d’une famille pavillonnaire et se délecter de « l’odeur si singulière des femmes de la classe moyenne ». La mère de Rapha (Emmanuelle Seigner) s’ennuie ferme auprès de son époux, cadre commercial dont le cerveau n’imprime que le jargon d’entreprise. Madame rêve de véranda, d’aménagement intérieur, de grossesse tardive.

 

Tandis que Claude surprend dans leur habitat naturel les mœurs de la classe moyenne, madame Germain, dans sa galerie, suivant la mode selon laquelle le régime représentatif dans les arts serait aujourd’hui obsolète, expose des œuvres qui ne représentent rien, qui se présentent, voilà tout. Ce qui compte, ce n’est pas ce qui est représenté, c’est la présentation elle-même. Allons plus loin. Il n’y a plus rien à voir. Une description audio du tableau préalablement détruit (sait-on jamais, l’œil pourrait  voir, ce qui l’empêcherait sûrement de regarder) achèvera de nous rendre idiot. Les deux jumelles (Yolande Moreau, dédoublée) qui viennent d’hériter des murs de la galerie ne l’entendent pas de cette oreille. La disparition du visible, peu audible par le commun des mortels, provoquera la disparition de la galerie.

François Ozon, c’est visible, est adepte d’un cinéma purement représentatif. Le réel n’est pas son affaire. La fiction est un jeu avec les possibles que le cinéaste entend explorer. Et comme d’autres avant lui se sont brillamment illustrés dans cette investigation, il dissémine dans son film de nombreuses références – Fenêtre sur cour, Match point, Théorème, Les désarrois de l’élève Törless – qui toutes participent du jeu narratif auquel le spectateur est soumis, même s’il n’en reste le plus souvent que des cosses vides.

Prenons Hitchcock, par exemple. De même que Jeff (James Stewart) – photo reporter bloqué dans sa chambre la jambe dans le plâtre – braque son téléobjectif sur les intérieurs de ses voisins d’immeuble, de même monsieur Germain, immobilisé dans sa vie de prof, lui qui se rêvait écrivain arpenteur de mondes imaginaires, découvre l’intimité d’une famille de la classe moyenne grâce aux yeux scrutateurs et à l’imagination de Claude, c’est-à-dire de celui qui se constitue comme l’instrument du voyeurisme des époux Germain (madame Germain n’étant pas en reste). L’irruption du père de Rapha dans la petite salle du lycée, saisissant monsieur Germain par le col, n’est pas sans rappeler celle de Thorwald, le voisin assassin de sa femme, dans la chambre de Jeff.

 

De Théorème, il ne reste que le motif de l’irruption d’un jeune homme au regard bleuté et de condition mystérieuse dans une famille petite-bourgeoise, un jeune homme d’une « beauté à ce point insolite, qu’elle le détache en quelque sorte scandaleusement de tous les autres participants » (Pasolini). Mais, point de mysticisme sauvage ni de sacré païen chez Ozon.

Fable cinématographique sur la création littéraire, Dans la maison n’est donc pas un film épiphanique (l’image n’y révèle aucune des puissances latentes du réel). Ozon aime trop le rôle de prestidigitateur pour cela.

 

Jean-Luc Jousse

 

[Dans la maison, Ozon. Dans la maison, Ozon. Dans la maison, Ozon. Dans la maison, Ozon. Dans la maison, Ozon. Dans la maison, Ozon. Dans la maison, Ozon. Dans la maison, Ozon]

Rédigé par immarcescible

Publié dans #cinéma

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F
Le J.L. a un oeil de rapace (d'aigle, bien sûr, pas de vautour orthographique).
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J
Merci FM pour ce commentaire dit avec Grace (K.), mais non sans péché - déjà absous, peuchère - contre l'orthographe.
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F
Brillant, JLJ ! A la hauteur d'Ozon. Tu diriges ton propos comme le réalisateur son Luchini, l'assommant (bien fait) par où il pêche (ou ce qu'il pèche). Ce que Hitchcock ne fit pas (Stewart<br /> était-il finalement plus léger que FL ?), laissant Grace K. à la littérature dont elle était capable.
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