Chloé, Atom Egoyan
Publié le 27 Mars 2010
Catherine (Julianne Moore), la quarantaine bien tassée, gynécologue de son état et socialement rayonnante, soupçonne son mari, David (Liam Neeson), universitaire charismatique, de lui être infidèle. Les grandes orgues du désir ont autrefois sonné entre les époux mais la cathédrale de cet amour est désormais dépeuplée. Lors d’une soirée au restaurant avec des amis, Catherine remarque une jeune femme exerçant ses talents d’escort-girl avec un professionnalisme certain. Elle s’arrange pour rencontrer Chloé, la jeune prostituée fatalement blonde (Amanda Seyfried), et lui confie une mission tarifée : séduire le mari pour éprouver sa fidélité. La ficelle (empruntée à Anne Fontaine) n’est pas neuve mais demeure toujours efficace. Atom Egoyan procède à une variation plus subtile qu’on ne peut le lire ici ou là sur le thème des liaisons dangereuses. Toronto, ville high-tech tout en baies vitrées, en miroirs et en écrans, est l’écrin choisi par le réalisateur canadien pour camper son histoire. Après chaque rendez-vous avec le mari qui, lui, n’est pas de glace, Chloé raconte par le menu ses ébats à une Catherine dévastée, troublée, affolée, mais prise à son propre jeu dont elle jouit, c’est visible. Les serres tropicales de la ville échauffent sans peine l’ardeur du mâle dont le désir s’épanouit sous la conduite experte de la jeune femme.
La maîtrise du jeu passe très vite du côté de Chloé qui ambitionne de conquérir Catherine et qui, pour parvenir à ses fins, instrumentalise le fils du couple, fusible facile. Le pouvoir économique et social se laisserait-il subvertir par la force du désir ? On le voit, l’équation amoureuse emprunte au Théorème pasolinien les éléments de sa résolution. Film d’emprunts, donc. Film parfois emprunté également.
Tout désir carbure à l’image. Désir de voir, désir de connaître, désir de puissance et, bien sûr, désir sexuel. Chloé, pur signe sexuel, est d’abord et avant tout pourvoyeuse de récits qui réaniment l’imaginaire sexuel de Catherine. Le discours professionnel que tient initialement cette dernière n’envisage la jouissance féminine que sous l’angle physiologique : une scène la montre expliquant à l’une de ses patientes le mécanisme de l’orgasme. L’irruption de Chloé dans l’univers très maîtrisé de Catherine fait très vite apparaître que le discours de la science ne dit pas la vérité du désir (en l’occurrence féminin).
Je ne dévoilerai pas davantage les dessous de cette histoire. J’indiquerai simplement que le dénouement relève clairement de la faute de goût, voire de la faute morale (puisque la morale bourgeoise est, in fine, préservée) ou politique (la force subversive du désir est mise au pas par la puissance sociale et ses intérêts bien compris).
JLJ